cadeau de paquets de cigarettes, 1928 |
Les Mousquetaires à la conquête de la coupe Davis
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Voici
enfin la première, et peut-être la plus belle, des épopées
du tennis, comme la si bien nommée Toto
Brugnon dans son livre de souvenirs : "L'épopée de Mousquetaires".
Et ce n'est pas seulement parce que je suis français que je vais
raconter avec émotion cette aventure si particulière. Mais
c'est parce qu'elle a quelque chose d'unique, autant par la personnalité
et le talent de ces quatre grands champions, que par la durée de
leur chevauchée fantastique, sur tous les courts de tennis du monde,
qui dura plus de dix ans. Et que dire de leur esprit d'équipe, leur
domination, aussi bien en simple qu'en double. Enfin, il faut rendre hommage
à leur unique rival, l'immense Tilden,
qui jusqu'à 37 ans passés, ne renonça jamais à
prendre sa revanche! Leur histoire a peut-être, plus que toutes les
autres, forgé la légende du grand chelem telle que nous la
connaissons encore aujourd'hui. Et les français, soixante-dix ans
après, rêvent encore de leur trouver des successeurs...
La lutte pour la coupe Davis reprend en 1919. Les Américains s'étant sportivement abstenus en considérant qu'ils avaient moins souffert que d'autres de la guerre, l'Australie n'en conserve pas moins la Coupe en 1919 contre les Anglais. Pour la première fois, la France remporte un succès sur la Belgique, grâce à Decugis et Laurentz, et n'est battue à Deauville, contre les Anglais, que trois à deux seulement, Gobert remportant un simple et Gobert-Laurentz gagnant le double sur le vieux Roper Barrett et O.Turnbull. Dès 1920, les Américains se mettent en campagne. Tilden et Johnston écrasent successivement la France et l'Angleterre et font subir le même sort aux Australiens, bien que le grand Brookes ait repris du service en simple pour la circonstance.
Et nous voici en 1921. Douze nations s'engagent et l'organisation de la coupe Davis, victime de sons succès et de sa mondialisation, va commencer à devenir un véritable casse-tête. Parmi les nouveaux venus, on trouve le Japon, l'Argentine, les Indes, les Philippines, la Tchécoslovaquie, le Danemark. Et les difficultés commencent: l'Argentine et les Philippines sont forfaits, incapables au dernier moment d'aligner une équipe. Les Belges battent la Tchécoslovaquie, mais ne peuvent financer leur voyage en Amérique pour le tour suivant... Les Anglais battent les Espagnols, puis partent pour l'Amérique rencontrer les Australiens, déjà vainqueurs du Canada et du Danemark. Privés de leurs meilleurs joueurs Brookes et Patterson, les Australiens l'emportent quand même sur l'Angleterre 5/0. Et les Français dans tout cela ? Ils sont battus sans gloire au premier tour à Paris par les Hindous. En l'absence de Gobert (champion de France 1911 et 1920), malade, Samazieuhl et Brugnon perdent 3/2. Samazieuhl a 32 ans, Brugnon 26. Tout cela ne laisse pas espérer de lendemains qui chantent. Et pourtant... |
Shimidzu à Wimbledon, 1920 |
La grande surprise
vient des Japonais, vainqueur des Hindous, et qui, pour leur coup d'essai
font un coup de maîtres. Les petits Nippons Shimidzu et Kumagae éliminent
en effet l'Australie en finale et ont ainsi l'honneur d'affronter les tenants
Américains. C'est une défaite sans appel contre Tilden
et Johnston. Mais Shimidzu
prend les deux premiers sets à Tilden. Il ne perd le troisième
que par 7-5, et, dans les deux suivants, il s'effondre.
Shimidzu n'est d'ailleurs à cette époque pas tout à fait un inconnu. Il a été, l'année précédente, finaliste des "all comers" à Wimbledon contre le même Tilden, et bien que battu en trois sets, avait mené à chaque fois avant d'être rejoint. Mais quel style! Quel extraordinaire joueur, avec une technique héritée du ping-pong, une prise de raquette absolument incroyable, qui laisse rêveur. Pas de service, pas de jeu de volée, mais un sens du jeu remarquable, une résistance à toute épreuve, un placement toujours parfait, et une réussite basée sur des retours dans les pieds et des lobs ajustés au millimètre. Regardez cette photo... Avec son petit chapeau de touriste, on a vraiment du mal à imaginer un finaliste de Wimbledon. |
1922
: En 1922, quatorze nations s'inscrivent. La France bat le Danemark, grâce
à Jean Borotra et
Henri
Cochet, deux autres Mousquetaires qui entrent en lice à cette
occasion. Cochet est le tout nouveau champion de France et champion du
monde sur terre battue, il a 21 ans. Borotra a 24 ans, il n'en est qu'à
sa troisième année de tennis, mais ses antécédents
à la pelote basque et une condition physique sans faille lui permettent
de rivaliser avec les meilleurs. Il a été champion du monde
de double avec Cochet. Et ils ont un moral de Coupe. Ne gagnent ils pas
leur double sur Tegner-Worm sur le score de 3-6, 6-2, 2-6, 10-8, 6-2 ?
C'est ensuite, pour Cochet et Gobert, le premier voyage en Amérique, où les Australiens Patterson et O'Hara Wood ne les battent que difficilement. Cochet bat O' Hara Wood, Gobert ne succombe qu'en cinq sets devant Patterson, et en double nos deux hommes poussent la fameuse paire Patterson-O' Hara Wood à 10-8 au cinquième set. Voici une première campagne honorable et pleine de promesse... |
Contre la Danemark, 1922: Borotra, Gobert, Cochet et Allan Muhr (Cap.) |
1923
: Le nombre d'engagés monte, obligeant les organisateurs à
innover en instituant le système des deux zones, pour éviter
aux représentants des pays lointains des déplacements intempestifs.
On créa donc une zone européenne et une zone américaine,
les vainqueurs de chaque zone devant se rencontrer pour désigner
la nation qui rencontrerait les tenants dans le challenge round. Cette
réforme fut certainement très salutaire, car, à partir
de ce moment, les nations inscrites furent toujours très nombreuses.
La plus grande liberté était d'ailleurs laissée à
chaque pays de s'engager dans la zone de son choix.
C'est contre le Danemark,
au premier tour, que le quatrième Mousquetaire René
Lacoste, alors âgé de 19 ans, est sélectionné
pour la première fois aux côtés de Cochet
et Samazeuilh. Son premier match contre le Danois Larsen fut un échec-8-6
au cinquième set.
Les Australiens l'emportent facilement 4/1 mais Lacoste bat le remplaçant australien Mac Innes et l'équipe Brugnon-Lacoste ne succombe que 9-7 au cinquième set devant Anderson-Hawkes. Dans le challenge round, les Américains l'emportent 4/1, Anderson faisant subir à Johnston sa première défaite en coupe Davis. |
1924
: Dix-sept nations s'engagent cette année là, avec pour la
première fois une équipe chinoise qui fait quinze jeux au
total contre les Australiens! En Europe, plus personne ne conteste la suprématie
de l'équipe de France. Elle bat successivement l'Irlande, les Indes,
l'Angleterre et la Tchécoslovaquie en finale. Les Mousquetaires,
sans Cochet retenu en Europe par sa situation professionnelle, s'embarquent
pour l'Amérique défier une nouvelle fois les Australiens
en finale interzone. Ils échouent cette fois de justesse,
battus seulement 3/2 par Patterson et O'Hara Wood, mais Lacoste, en gros
progrès, remporte ses deux simples.
En finale, Tilden et Richards (qui remplace Johnston mal remis d'une maladie) gagnent tous leurs matchs et Tilden Johnston le double. 5/0 pour les États-Unis ! C'est en 1924 qu'un Français remporte pour la première fois un tournois du grand chelem : Jean Borotra remporte son premier Wimbledon contre un autre Français René Lacoste. C'est pour les Mousquetaires la première d'une longue série de victoires dans les tournois du grand chelem, où ils seront invaincus jusqu'en 1930. |
Tilden à l'époque de sa suprématie en coupe Davis |
Affiche du challenge round 1925 |
1925
: Le nombre d'inscriptions se monte à vingt-cinq, un record ! Les
Français gagnent une fois de plus facilement tous leurs matchs de
la zone Européenne en battant la Hongrie, l'Italie, l'Angleterre
et la Hollande en finale.
Seuls Borotra et Lacoste s'embarquent pour l'Amérique. Et enfin les Français battent les Australiens au cours d'une rencontre que Borotra déchaîné va pratiquement remporter à lui tout seul : il bat Anderson le premier jour et prend à son compte le double, associé à un Lacoste en petite forme. Le troisième jour, sa victoire sur Patterson permet à l'équipe de France de l'emporter 3/1 et d'accéder pour la première fois au challenge round contre les terribles américains. Pour cette première confrontation, Borotra et Lacoste sont battus 5/0. Williams-Richards sont trop forts pour Borotra-Lacoste pourtant récents vainqueurs de Wimbledon. Johnston gagne facilement ses deux matchs, mais Tilden se voit longuement accroché par Lacoste qui ne rate rien et impose sa régularité. Tilden sauve même une balle de match au troisième set : 3/6 10/12 8/6 7/5 6/2. Ouf ! Le grand Tilden a eu chaud ! |
1926
:comme les autres années, les Français dominent tous leurs
rivaux européens : Danemark, Tchécoslovaquie, Suède,
Angleterre. Et pour la première fois, l'équipe des Mousquetaires
au grand complet s'embarque pour l'Amérique, Cochet étant
libéré de ses soucis professionnels.
Les Australiens s'étant abstenus, ce sont les Japonais qu'affrontent les Mousquetaires en finale interzone. Cueillis à froid après leur voyage, Lacoste et Cochet se font surprendre par l'excellent Harada et Cochet se fait même accroché par Tawara, mené 2 sets à zéro, et 5 jeux partout ! Les Français l'emportent finalement 3/2, mais leur arrivée tardive est une erreur qui ne sera pas renouvelée l'année suivante... La finale contre les États-Unis est une nouvelle défaite. Mais si Johnston gagne facilement ses deux simples et si Williams-Richards sont intraitables en double contre Borotra-Brugnon, Lacoste a l'immense satisfaction de battre Tilden dans le dernier simple. Certes, la rencontre n'était pas décisive, mais c'est la première défaite de Big Bill depuis 1919 ! Lacoste a 22 ans, et maintenant, tous les espoirs lui sont permis... |
Harada, vainqueur de Lacoste et de Cochet. |
Lacoste aux USA, 1926. |
La
revanche eut lieu plus tôt que prévue : une semaine plus tard,
aux championnats américains à Forest Hills, les quarts de
finale opposent respectivement Lacoste,
Cochet,
Borotra
et Brugnon à Williams,
Tilden, Johnston et Richards. A la surprise générale,
seul Richards échappe au désastre. Tilden est battu par Cochet
8/6 au cinquième set après avoir eu deux balles de match.
C'est sa première défaite à Forest Hills depuis 1919!
Quant à Borotra, il règle en 5 sets un vieux compte avec
Johnston à qui il fait subir sa première défaite dans
ce même tournoi par quelqu'un d'autre que Tilden !
De tous ces matchs difficiles, c'est Lacoste qui sort le plus frais de son match contre Williams. Face à Cochet, mené deux sets à zéro, il finit par profiter de la fatigue de son camarade pour le remonter. En finale, il bat facilement Borotra 6/4 6/0 6/4. |
C'est la première victoire d'un français à Forest Hills et la première d'un étranger depuis Laurie Doherty en 1903. Lacoste est le premier à reconnaître que cette victoire n'est pas individuelle mais bien celle de toute une équipe qui a fait un remarquable travail d'ensemble. 1926 est d'ailleurs une année faste pour les Mousquetaires qui gagnent tous les tournois du grand chelem auxquels ils ont participé : Cochet à Paris, Borotra à Wimbledon et enfin Lacoste en Amérique. Ils sont classés tous les trois ensemble N°1 mondial à la fin de l'année, à la place de Tilden. La coupe Davis semble enfin à leur portée. |
Épisode précédent
: 1924, Vincent Richards, double champion
Olympique.
Épisode suivant : 1925-1927,
Le championnat de France devient international.
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