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En 1963, le statut du joueur amateur n'a plus rien à voir avec ce qu’il était au début du siècle. Ce n’est plus le gentleman globe-trotter qui joue pour son plaisir en payant tous ses frais, mais tout simplement un joueur payé avec la bénédiction de sa fédération nationale. On n’osait pas utiliser le mot « payé » afin de ne pas reconnaître publiquement ce que tout le monde savait, alors on parlait d’indemnités et on fermait les yeux sur les dessous de table. Cela avait aux yeux des fédérations l’immense avantage de pouvoir conserver sous leur contrôle de très bons joueurs pour la coupe Davis. Pour ceux qui n’osaient pas franchir le pas du professionnalisme pur et dur, cela n’avait que des avantages : la vie chez les pros était plus dure, l’avenir incertain, les gains aléatoires et le percepteur impitoyable… |
C’est ainsi que plusieurs des meilleurs joueurs australiens choisirent de rester officiellement amateurs tout en passant leur vie à être« invités » dans le monde entier. Dans les années 60, Emerson, Fletcher, Hewitt, Stolle et probablement Frazer, gagnaient très largement leur vie de cette façon, tout comme l’Espagnol Santana et l’Italien Pietrangeli. |
Pour essayer de limiter un peu les abus, la fédération internationale avait tenté d’édicter plusieurs règlements, comme la limitation des indemnités – très théorique et inapplicable en pratique puisque souvent payées en liquide – et la règle des 180, puis 210 jours. Il s’agissait d’interdire à un joueur officiellement amateur de se déplacer hors de son pays plus de 210 jours dans l’année. Or 7 mois, c’est à la fois peu et beaucoup. C’est peu pour un amateur qui ne fait que jouer au tennis tout au long de l’année car c’est un manque à gagner. C’est beaucoup pour un amateur qui est censé avoir une activité professionnelle rétribuée en dehors de son sport. Dans ce contexte, la fédération australienne, détentrice de la coupe Davis, fermait les yeux et, moyennant quelques accommodements avec les règlements, réussit à garder quelques uns de ces bons joueurs. Ce ne fut pas le cas de l’Espagne qui laissa partir Andres Giméno à la fin de la saison 1962, privant ainsi Manuel Santana d’un soutien qui lui fit cruellement défaut par la suite en coupe Davis… |
Roy Emerson et Pierre Darmon à Roland-Garros. L'australien va remporter son deuxième titre de l'année 3/6 6/1 6/4 6/4 |
Chuck McKinley, photo officielle Wimbledon, 1963 |
Laver
passé professionnel, l’Australie continue d’exercer sa suprématie
et Emerson peut se lancer à l’assaut du grand chelem, avec une chance
raisonnable de succès. Grand serveur, c’était surtout un
extraordinaire joueur de volée avec une vitesse de déplacement
phénoménale. Il est d'abord facilement vainqueur en Australie
de son compatriote Ken Fletcher. A Roland-Garros, il prend sa revanche
de l'année passée où il avait frôlé la
victoire contre Laver. Emerson est à l'aise sur terre battue comme
sur herbe, il bat en finale l'étoile montante du tennis français
Pierre Darmon. Avec les deux premières levées en poche, Emerson
peut légitimenent espérer remporter une troisième
levée à Wimbledon où il est archifavori et tête
de série N°1.
C'est un échec. En
quart de finale, il sort épuisé et vaincu après un
marathon contre le jeune allemand Bungert, invité surprise des demi-finales.
Ce qui prouve que ces déplacements incessants à travers le
monde finissaient pas user les meilleurs. Du coup, c'est le petit américain
Chuck McKinley, étudiant en mathématique à l'université
de San-Antonio qui remporte le tournoi sans perdre un set. Cet authentique
amateur qui avait du solliciter l'autorisation de son président
d'université pour venir à Wimbledon, valait surtout par sa
régularité et sa combativité. Sa petite taille était
certainement un handicap, mais il arrivait à exécuter ses
smashs de n'importe quel endroit du court. Il remporte son unique titre
en grand chelem sans avoir rencontré une seule tête de série!
La révélation du tournoi est encore un Australien Fred Stolle
qui parvient en finale après avoir éliminé l'autre
favori, Manuel Santana.
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McKinley, Wimbledon 1963. |
Emerson en 63. |
Fred Stolle vient de battre Manuel Santana en demi-finale de Wimbledon. |
Du coup, l’Amérique redresse la tête et se remet à rêver de Coupe Davis. Une bonne campagne pendant les éliminatoires permet à McKinley et Ralston de se qualifier pour la finale. Les espoirs d’une victoire restent cependant bien minces. Emerson chez lui doit gagner ses deux simples, Fraser est un excellent spécialiste du double, tout comme Fred Stolle, le récent surprenant finaliste de Wimbledon. Enfin, Harry Hopman a inscrit également sur la feuille de match le grand espoir du tennis australien, John Newcombe, âgé de 19 ans. Les américains vont cependant être aidés par Harry Hopman qui pour une fois fait les mauvais choix. Victime d'une élongation, Fraser n'est pas au mieux, mais Hopman insiste pour lui faire jouer au moins le double associé à Emerson. Hopman a une totale confiance en son joueur qui est le pilier de l'équipe depuis presque dix ans. Pour le deuxième simple, Hopman choisit John Newcombe à la surprise générale. Excès de confiance, ou désir de rééditer la performance de Hoad et Rosewall en 1953? L'effet est en tout cas désastreux sur Fred Stolle qui pensait avoir conquis sa place en simple après sa finale de Wimbledon. Mais Hopman est sûr de lui. En associant Emerson à Neale Fraser, il est sûr de remporter le double tout en préparant l'avenir. |
John Newcombe à 19 ans |
Denis Ralston fait la une de ce journal sportif américain, Sept 63 |
Le prrogramme officiel de la finale de 1963. |
Mais, et c'est la magie de la coupe Davis, rien n'est jamais joué d'avance. Si Emerson gagne comme prévu ses deux simples très facilement, Newcombe perd de justesse son premier match contre Ralston, sur le score de 6-4, 6-1, 3-6, 4-6, 7-5. Le double est une déroute australienne, avec un Fraser diminué et un Emerson incertain, tous les deux balayés par Ralston et McKinley bien plus motivés. Après la deuxième victoire d'Emerson, c'est à Newcombe de tenter se sauver son équipe. Mais à 19 ans, malgré tout son courage et son indéniable talent, il doit s'incliner devant l'expérience et la combativité du petit américain après un match qui resta longtemps incertain: 10-12 6-2 9-7 6-2. |
L'équipe US reçue par le président Johnson Bob Kelleher, capitaine; Dennis Ralston, Chuck McKinley, le président Johnson Mrs. Chuck McKinley,Marty Riessen, et A. Edward Turville, président de l'US Lawn Tennis Association |
L'équipe américaine après sa victoire: Riessen, Froeling, Scott, le capitaine Kelleher, McKinley et Ralston. |
Côté Américain, c'est l'apothéose. Cette victoire surprise les lave enfin de toutes les humilations des années précédentes contre les italiens et les mexicains. Le tennis américain est à nouveau triomphant et conquérant. L'avenir allait démontrer que ses joueurs resteraient un peu trop longtemps d'authentiques étudiants en se comportant en vrais amateurs, alors que leurs rivaux australiens allaient eux généraliser la pratique du faux professionalisme... En attendant, pour bien marquer l'événement, le président Johnson en personne recut l'équipe au complet à la Maison Blanche ! |
Épisode suivant : 1964: Emmo rate son grand chelem... |
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Dernière mise à jour : 10
avril 2010
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